début. 1er février 2019.
J'ai choisi de me réveiller chaque matin avec un nouveau personnage dans le coeur. La voix doit venir du coeur pour qu’elle soit sincère. Chaque jour, pendant 28 jours, j'écrirai, spontanément, sans correction, la voix d’un personnage qui s’est réveillé dans mon coeur. Mon but n’est pas de documenter une vérité. Mon but est de donner une voix empathique et sincère, à travers mon écriture spontanée et imparfaite, à des personnes qu’on entend peu ou pas du tout.
Il faut voir ces textes comme un canvas vivant. Une oeuvre collaborative. Puisque la liberté de parole est au centre, les commentaires du lecteur sont les bienvenus. Ils font partie du tableau lui même. Ils lui donnent du sens.
Je respire. Je sens le froid sur ma joue. J’entends le bruit des informations dans la télé. J’entends un brouhaha indescriptible et fatiguant. Je n’ouvrirai pas les yeux maintenant. Gagner du temps. Me rendormir. Le froid sur ma joue pénètre mon oeil et remonte jusqu’à la naissance de mes cheveux. Je ne veux pas ouvrir les yeux. Je ne veux pas voir un semblant de reflet sur le carrelage glacial. La prochaine fois j’espère que je ne me réveillerai pas. Mes yeux sont trop lourds. Mes oreilles bourdonnent. La prochaine fois j’espère qu’il frappera plus fort. La prochaine fois j’espère que ce sera plus rapide. J’imagine souvent mon crâne heurter le coin de la table de la cuisine. J’imagine le bruit. J’imagine la douleur intense mais courte. J’imagine le souffle de fin. Mais je respire. Je respire sur le carrelage. Cette fois je respire.
Je dois finir de préparer le dîner. Je dois sûrement me nettoyer, il ne m’aimera pas comme ça. Je lui dirai que je suis désolée, comme tous les jours. Il me dira que ce n’est rien, que je suis très jolie et qu’il m’aime comme je suis. Alors je sourirai comme tous les jours. Je ferai la vaisselle pendant qu’il choisira le film de 21H. Il me prendra sur ses genoux et on regardera le mauvais film jusqu’au bout. Et puis on ira se coucher et il sera sûrement excité. Il est excité tous les jours. Alors il me pénétrera rapidement et jouira en moi trop longuement. Et il se tournera et s’endormira. Je fermerai les yeux. Je m’endormirai à mon tour. Demain tout recommencera. Et demain j’espère qu’il frappera plus fort. J’espère qu’il frappera avec moins de précisions. J’espère le coin de la table de la cuisine. J’espère ne pas respirer de nouveau.
Je ne peux pas. Je lui ai déjà dit. A force de me pousser je vais exploser. Je n’arrive plus à contenir mes humeurs. Je ne peux pas, je lui redis. Elle ne comprend pas. Elle pleure. Mais ça va. Ca va aller. Un jour ça ira mieux. J’en suis sûre. Aujourd’hui je ne peux pas. Ca ne passera pas. C’est tout. Ils veulent que je parle, que j’explique ce que je ressens. Tous les jours c’est la même chose. A croire que je ne suis qu’un ventre. J’ai vu cinq psy différents depuis un an. Je vais très bien. Ca va. Vraiment. Je veux qu’ils me laissent tranquille. J’aimerais qu’elle profite de mes sourires plutôt que d’essayer de me gaver à la cuillère. Je sais que j’ai un problème. On me le répète à longueur de journée. Je sais bien que je suis différente. Mais ça va. Je contrôle. Ils devraient se contenter de regarder mes résultats. J’ai les meilleures notes de ma classe. C’est ce que les parents souhaitent non ? Avoir des enfants avec des têtes bien faites qui réussissent à l’école ? Et bien moi je réussis. Mais ils ne le voient pas ça, ce n’est pas assez pour eux. J’en veux pas de sa soupe. Je sais qu’elle y a mis de la pomme de terre. Elle sait très bien que la pomme de terre c’est des glucides. Je ne l’avalerai pas cette cuillère. Elle s’arrêtera bien de pleurer à un moment. Il y a pire quand même ! Il y a des gens qui meurent de faim sur terre et moi on veut absolument me forcer à manger. Mais lâchez moi ! Ca va je vous dis. Ca va. Je contrôle je vous dis.
Des fois j’aimerais disparaître. Qu’on me foute la paix. J’aimerais que le vide me remplisse et m’enveloppe. Et puis je pense à eux. Je pense à ma mère. Et puis j’ai de la peine. Alors je l’avale, cette cuillère. Je sais que ce soir quand tout le monde dormira j’irai courir, pour éliminer. Je sais que la culpabilité sera énorme, là, logée au coeur de mon ventre, entre mes côtes. Je la sentirai jusque dans ma gorge, comme un souffle vide ou un trop plein de quelque chose que je ne peux pas définir. Mais j’ai l’habitude. Je contrôle.
Ca a commencé, j’envoyais juste des photos aux garçons comme ça, pour m’amuser, pour séduire en fait. Parce qu’en fait moi je savais pas très bien ce que c’était la sexualité, la féminité, tout ça. Je pensais que quand t’étais une femme, que ça y est t’avais tes règles, de la poitrine et tout, ben c’était normal de séduire les garçons. Je savais pas, j’étais pas prête en fait à la réalité, je pense, à la violence du monde. Du coup j’envoyais des photos de moi, un peu sexy, en sous-vêtements, ou toute nue. J’envoyais à plusieurs garçons et je discutais avec eux sur messenger. Et moi j’étais plutôt bien, j’avais pas l’impression de faire quoi que ce soit de mal ou quoi. Pour moi c’était normal en fait, t’es une femme, tu peux séduire, c’est comme ton pouvoir en quelque sorte. Et puis j’avais que des messages trop gentils où ils disaient qu’ils me trouvaient trop belle, trop bonne, qu’ils avaient envie de me faire l’amour. Alors forcément, tu lis ça, ça fait plaisir, tu te sens valorisée, tu te sens une femme forte. Et puis un jour, on était chez moi avec Justine et elle était sur mon ordi. Elle regardait dans mes messages mais moi je savais pas et elle a vu que j’avais envoyé des photos à son copain. Elle est partie sans rien dire. Et en fait, Justine, c’était ma meilleure amie alors forcément elle avait mes mots de passe et tout. Alors elle s’est connectée sur mon compte et elle a fait des screenshots des photos et elle a commencé à poster sur mon mur toutes les photos et en commentaire elle mettait : Au cas où vous n’étiez pas au courant je suis une grosse salope, ou des trucs comme ça. Et ça a pris des proportions énormes parce que les gens commentaient, m’insultaient. Ils disaient que j’étais qu’une sale pute, que je ferai mieux de me tuer parce que je servais à rien sur cette terre. Et moi je sais pourquoi Justine elle a fait ça, je sais que c’était pas cool d’envoyer les photos mais genre tous les commentaires étaient contre moi, la salope, alors que Justine, ma meilleure amie, qui postait ces photos, elle on ne la citait pas surtout. Ma vie c’est devenu l’enfer, les gens du lycée que je ne connaissais même pas me reconnaissaient dans la rue. Je me faisais cracher dessus, taper. Il y avait des mots gravés et des photos collées dans les toilettes. Je ne suis pas allée au lycée pendant un mois, je pouvais pas. Je voulais juste disparaître, me supprimer, mais je n’avais pas le courage. J’en ai parlé à mes parents mais j’avais trop honte. Ils m’ont envoyé voir un psy à qui j’ai pu parler de tout. Et j’ai compris. Et j’ai compris que j’avais rien fait de mal. J’aurais dû savoir que ma nudité, c’est mon intimité et que je ne devrais pas la partager aussi librement, mais ça me regarde. C’était mon choix de partager ces photos avec ces garçons. C’était peut être pas super intelligent ou quoi, mais c’était mon choix, ma liberté, mon corps. Et peu importe ce que pense les gens, jamais mon corps ne devrait être partagé librement sans mon consentement à une ou bien des milliers de personnes. Depuis que j’ai compris, je me reconstruis, petit à petit et ça va, je me sens plus forte au fond. Mais je ne me sens plus coupable.
J’ai arrêté de parlé à ma mère il y a environ cinq ans. Nos parents ont divorcé quand j’avais dix-huit ans. J’étais la plus grande de mes frères et soeurs. Je me suis vite sentie “in charge”. J’ai très vite endossé le rôle de seconde mère. Et je pense qu’elle m’en a voulu pour ça. Leur divorce était le genre de séparation qui met les enfants au centre. Dans ce genre de situation, c’est toujours nous qui en souffrons le plus. Mais ça n’a pas duré longtemps, elle m’a juste détestée pendant un an et puis au bout d’un an elle est devenue jalouse de mon père. Alors elle revenue vers moi. Elle m’a dit qu’elle était désolée et que je devrais me méfier de mon père, que s’il s’était séparés c’est parce que lui n’avait jamais voulu d’enfants et qu’il l’avait toujours trompée, avant même qu’elle soit enceinte de moi. Je l’ai cru et j’ai arrêté de parler à mon père. Cette année, j’ai quitté la maison et j’ai pris ma petite soeur avec moi. Je faisais des jobs de styliste en freelance et je travaillais en tant que barman. Je me cachais derrière mon bar, derrière les sapes.
C’est cette année où ma soeur est tombée malade. Je ne sais jamais trop comment le dire parce que les gens disent que ce n’est pas une maladie, mais elle est tombée en grave dépression. Au début, elle disait qu’elle ne voulait pas aller au lycée, qu’elle voulait que je reste à la maison avec elle, qu’elle ne voulait pas rester seule. Elle restait des heures dans son lit couchée à rien faire. J’ai eu beaucoup de difficulté à comprendre et à mettre des mots sur ce qui lui arrivait. Ma mère disait qu’elle faisait sa crise d’adolescence et qu’il ne fallait pas tomber dans son jeu. Et puis un jour, je suis rentrée du travail et je l’ai trouvée par terre, à côté des toilettes. Elle tremblait comme une feuille, elle était toute pâle, elle n’arrivait pas à articuler un mot. Elle avait avalé une boîte entière d’Atarax avec de la vodka. On est allé aux urgences et le verdict n’a pas été si grave, ils ont dit que c’était plus un appel au secours plutôt qu’une réelle volonté de mortAprès le rendez-vous obligatoire avec le psychiatre, ils ont quand même décidé de la garder. Et puis elle est restée là quelques temps, comme un légume. J’allais la voir tous les dimanche quand le bar était fermé. Mes parents n’y sont jamais allés. Quand elle est sortie, elle est revenue chez moi, mais c’était trop dur. C’était trop lourd de l’avoir de nouveau à la maison. J’avais peur de la retrouver inerte en rentrant tous les soirs. J’ai demandé à ma mère de la reprendre. Comme elle l’a fait avec moi ou mon père, elle en a profiter pour raconter n’importe quoi. Elle a vécu le bonheur de reprendre le dessus. Ma soeur n’a plus voulu m’adresser la parole depuis et ma mère a coupé tout contact avec moi.
Je ne sais pas pourquoi j’ai fait ça. Je me sens idiote maintenant. J’ai voulu jouer mais je n’aurais pas dû. Je n’avais pas besoin. Je suis tellement amoureuse. Je suis stupide. Je ne sais pas quoi faire, je me sens différente maintenant, il s’en rendra compte c’est sûr. Mais comment j’ai pu faire ça ? On sort si peu en même temps. A force d’être une ermite voilà ce qui arrive. Ca ne justifie rien. Je suis nulle. Je devrais lui en parler. Ou jamais. Je n’aurais même pas du sortir. Tellement de temps à rester dedans, seule. Quand tu sors, tu fais la fête, tu perds le contrôle forcément. Est-ce qu’on a un problème ? On a pas de problème on s’aime très fort, on est juste très fatigués, souvent. Et puis ça arrive à tout le monde au final. Je pense que je ne dirais rien. Mais je m’en veux tellement. Et en même temps, ce moment était si intense. Je culpabilise de l’aimer encore, ce moment. Ces quelques mots hurlés dans nos oreilles, fondus dans le brouhaha de la nuit. Puis sa main, moite, glissée dans la mienne. Aller chez lui. Rentrer chez moi. Aller chez lui. Y réfléchir demain. Il a tourné la clé dans la porte et je lui ai offert mon corps. C’était bon. C’était mal mais bon. Mais hier c’était seulement bon. Pas mal. Pas encore. C’était fort et tendre en même temps. Je ne connais même pas son nom. Je me souviens de son odeur, florale et ambrée. Sa peau était douce. Nous avons fait l’amour comme si nous nous connaissions depuis des années. Je le dis pour l’oublier. Je me suis rhabillée puis je suis rentrée tard me glisser sous la couette, entre les bras de l’homme que j’aime et qui m’aime, remplie de peur, de questions et de culpabilité. Et puis, je respire un grand un coup et je me dis que ça restera mon secret. Ce sera mon plaisir coupable, jusqu’à ce que je l’oublie. Il n’a pas besoin de savoir.
Ce que j’aime c’est juste regarder les rayons du soleil qui dansent sur la fenêtre. A mon âge pourquoi irais-je me soucier d’autre chose ? Je m’assoie sur le fauteuil à bascule et je me sens bien. Je me sers une tasse de thé qui accompagnera ce spectacle et du haut de ma tour j’admire les rayons danser. Ils sont nombreux et s’alternent . Quelques uns restent en place et d’autres font de petits pas de côté, rapides. Même s’il ne sont pas d’accord sur la chorégraphie, leur rythme est organique et parfait. Je respire et j’imagine la musique qu’eux s’imaginent. Pas besoin de mettre de mots sur les émotions que nous partageons là, tout simplement, eux et moi. Le moment est beau. Je me sens faire une avec le soleil. Alors je ferme les yeux et je tombe dans le sommeil, heureuse.
On a fait des photos de nous en sous-vêtements et on a mis des annonces sur internet avec nos numéros de téléphones. Les hommes ont commencé à nous appeler et c’est parti comme ça. Au début on se déplaçait pendant les heures de trous ou après le collège. Et puis après quelques semaines, quand on a eu un peu d’argent on a commencé à prendre des chambres d’hôtel. On prenait 100 euros la demie heure et 200 euros l’heure. Des jours on avait cinq ou dix clients sur des bonnes journées. C’était très mécaniques. Les hommes venaient, ils faisaient ce qu’ils avaient à faire et puis on avait l’argent. Après on allait au centre commercial à côté et on achetait des vêtements comme des grandes avec notre argent qu’on s’était fait nous mêmes. Les hommes ils étaient plutôt respectueux. Ils étaient souvent mariés, entre 20 et 50 ou 60 ans pour les plus vieux. Nous ce qu’on aimait c’était le fait de faire ce qu’on voulait, de pas avoir besoin de demander d’argent à maman.
C’est la mère de Léa qui a commencé à trouver ça bizarre. Les manucures. Les pédicures. Le coiffeur. Les vêtements. Les sacs. Les bijoux. Elle a commencé à poser des questions sur ce qu’on faisait et elle a fouillé dans son téléphone. Elle a lu tous les textos des hommes et elle s’est grave inquiétée. Elle a pensé que Léa était harcelée ou un truc comme ça, qu’elle contrôlait pas. On lui a dit qu’on contrôlait tout qu’elle n’avait pas de souci à se faire, que ça se passait très bien. Mais elle est allée au commissariat pour porter plainte contre un des clients réguliers. Le flic quand il a vu les textos il a dit “votre fille c’est une prostituée madame je suis désolée”. Quand elle est rentrée Léa s’est fait giflée, elle a été interdite de sortie, obligée de rester au collège pendant les trous, inscrite à la cantine, la totale. Du coup j’ai arrêté aussi. Mais franchement je vois pas trop le mal qu’on avait à faire ça, on était consentante et puis ça nous achetait notre liberté. Au final je faisais plus d’argent que ma mère.
J’ai commencé à me douter de quelque chose quand ma fille revenait tous les jours avec des sacs différents, des nouveaux vêtements, des bijoux. Je n’ai pas tout de suite compris bien sûr. Quel genre de mère penserait que sa fille se prostitue ? Je lui ai posé des questions et elle me répondait que c’était des cadeaux de garçons qu’elle rencontrait sur internet. Elle me disait qu’ils venaient la chercher à l’école et qu’ils tombaient toujours amoureux d’elle. Ca je n’étais pas vraiment fan. Je n’appréciais pas le fait que ma fille voit des garçons qu’elle ne connaissait pas et encore moins qu’elle les trouve sur facebook ou je ne sais quelle application. Elle rentrait de plus en plus tard. Moi je travaille, je suis toute seule. Je ne peux pas avoir les yeux partout.
Non, je ne partirai pas. J’ai grandi ici, ma mère a grandi ici, ma fille a grandi ici. Je ne partirai pas. J’en ai rien à foutre de leur autoroute moi. Il y a trop de souvenirs. Je ne partirai pas. Ils ont qu’à venir me chercher. Au lieu d’envoyer leurs lettres de relance, ils ont qu’à se montrer. Moi je reste. Ici c’est chez moi. J’ai accouché de ma fille dans mon lit, sous mon toit. Mon mari y est mort dans ce lit. Il est mort à cause d’eux d’ailleurs. C’est le travail qui l’a tué. J’ai 88 ans, qu’est-ce qu’ils vont faire ? Ils vont venir se battre avec moi ? Ils vont me sortir de force ? Qu’ils essayent ! Ici c’est chez moi, c’est mon village, ma rue, ma maison. Je ne partirai pas.
“T’es trop maigre” ils m’ont dit. “Sorry chérie t’es trop maigre, il faudra revenir quand t’auras mangé.” Il y a deux ans quand j’ai commencé, j’étais “trop grosse” mais “that face, amazing!” C’est mon frère qui m’a poussée. J’ai fait le casting Elite. Jamais j’aurais pensé pouvoir gagner quoi que ce soit, mais lui je l’ai gagné. J’ai signé un premier un contrat pour être mannequin showroom. On travaille pendant une semaine dans le showroom d’une maison de mode et on présente les vêtements aux clients. C’est bonne ambiance et super bien payé ! C’est là que la chef de cabine m’a dit “that face, amazing ! Tu sais tu pourrais carrément faire les défilés si tu perdais dix kilos.” Dix kilos. Je faisais 58kg pour 1m78. J’ai jamais fait attention à mon poids, j’ai grandi très vite. Je me suis mise au régime après ce showroom. J’ai perdu très rapidement ces 10 kilos. Je faisais un à deux repas par jour, la plupart du temps, je mangeais liquide. Ca marchait bien. Je n’avais pas la même énergie mais je voyais mon corps s’amaigrir rapidement. J’étais au point pour la prochaine saison. J’ai eu la chance de pouvoir passer quelques castings et puis j’ai défilé pour Hedi. Chez Saint Laurent. Quel honneur ! J’ai fait tous ses défilés et tout ses showrooms. Et puis, il est parti.
Hedi est parti et il m’a laissé dans ma maigreur. Je me suis présentée chez Saint Laurent pour la première collection d’Anthony. “T’es trop maigre” ils m’ont dit. “Sorry chérie t’es trop maigre, il faudra revenir quand t’auras mangé”.
Mais t’as cru quoi sérieux ? T’as cru que tu pouvais me toucher le cul comme ça parce qu’on est un peu serré dans la rame de métro ? Ben nan tu vois, c’est fini le temps où on fermait nos gueules. C'est fini le temps où tu pouvais laisser balader tes mains comme ça ni vu ni connu. C’est fini, maintenant t’assumes tu vois. MESDAMES MESSIEURS CET ESPÈCE DE GROS DEGUEULASSE A PENSE QU’IL POUVAIT M’ATTRAPER LA FESSE SANS SOUCI. Ben ouai c’est ça casse toi connard. N’essaye même pas de refaire ça à une autre.
Ici c’est les grands qui veillent sur les petits. Franchement les parents ils ont pas le temps, soit ils travaillent soit ils s’occupent des plus petits à la maison. Le problème c’est que personne ici ne veille sur nos grands.
Les flics quand ils viennent, ils ne viennent pas pour veiller au calme. Ils viennent comme si on était un problème, par défaut. Je sais que ce n’est pas tous les flics, je ne fais pas une généralité. N’empêche que la police est capable de mentir, de cacher, de tuer pour protéger cette minorité. Mais pourquoi ? Et à quel prix ? Ce serait tellement plus simple d’assumer les horreurs de certains. Ce serait tellement plus beau de pouvoir s’excuser auprès des familles en tant qu’entité. La police ne devrait pas couvrir les mensonges, délits, viols, meurtres d’une atroce minorité de leurs employés. Elle devrait, au contraire, condamner. Elle devrait protéger nos grands.
Franchement, je fais attention. J’ai plein de vêtements dans mon placard que je sais que je ne mettrais jamais. Ou alors je les enfilerai pour rester chez moi, prendre des photos. On est pas libre. C’est faux. On ne peut pas sortir habillé comme on veut. Les gens disent qu’il faut juste assumer. Mais c’est au delà en fait. Je ne m’habille pas pour qu’on me traite de pute ou pour qu’un enfoiré glisse une main sous ma jupe dans le train. Je m’habille pour être bien dans ma peau, pour affirmer ma personnalité, pour séduire aussi. Mais séduire ne veut pas dire tout accepter. Je n’ai pas à subir quoi que ce soit.
Je n’attrape pas la testicule d’un homme quand il a un jean un peu serré. Je ne lui caresse pas le sexe quand il porte un jogging adidas en microfibre. Je ne lui attrape pas la fesse en loucedé parce que son sac à dos surligne la courbe. Pourtant lui aussi s’est regardé dans le miroir en partant ce matin. Lui aussi s’est habillé pour être bien dans sa peau, pour affirmer sa personnalité, pour séduire aussi. Mais moi je ne lui fais rien subir, ni mes regards cochons, ni mes mots salasses, ni mes gestes forcés.
Qu'est ce que j'en sais moi de ce qu'elles font les petites quand elles sortent de l'école ? On peut pas avoir les yeux partout, nous hein ! On est pas le substitut des parents ! Ils ont qu'à tenir leur rôle les parents. Je ne dis pas que je n'ai pas vu certaines choses. Mais qu'est ce que vous voulez de notre temps aussi on essayait d'aguicher les garçons. J'entends des "elle a fait une pipe pour un big mac" mais si on devait s'arrêter à tout ce qu'on entend aussi, on aurait pas fini. Honnêtement ça m'étonnerait que les filles de collèges fassent des fellations pour des big mac. Mais bon, peu importe. J'aurais pas pu deviner qu'elles se prostituaient les petites. Elles allaient à l'école comme tout le monde, en plus leurs notes étaient plutôt bonnes. On ne va pas non plus aller contrôler si elles vont bien à leur cours de piscine ou de danse après les cours. Elles n'ont pas non plus cinq ans. A 12 ans on peut se gérer un peu seul. Si je m'arrêtais à chaque élève, je n'aurais pas fini je vous dis !
Pourquoi est-ce qu'on en parle si peu ? Comme si cette maladie n'existait plus. Comme si on pouvait avoir une liberté sexuelle.
J'avais 19 ans quand j'ai été contaminée. J'avais 19 ans et les préoccupations d'une fille de 19 ans. J'étais en école de pub, je sortais beaucoup, je buvais beaucoup, je baisais beaucoup. Je quittais le lycée, j'avais eu mon bac avec brio. J'avais quitté Lyon pour monter à Paris. J'étais libre. Complètement libre. Comme tous les jeudis, on était sorti toute la nuit. Soirée étudiante, open bar. Ca finit souvent mal mais on s'habitue. Les écoles sont peuplées de jeunes alcooliques mondains. On est sorti et j'avais beaucoup bu. Beaucoup bu, mais pas plus que d'habitude non plus. Vers 6h du mat j'ai ressenti une forte migraine, comme si quelqu'un essayait de poignarder mes tempes avec ses doigts. Une pression insistante et de plus en plus forte. Je suis rentrée suivie par des nausées. En franchissant la porte j'ai vomi tout ce que j'avais dans le corps. J'ai vomi jusqu'à midi. J'étais épuisée, déshydratée. Je suis allée en cours le lendemain. En retard et gueule de bois, comme souvent le vendredi. Les nausées continuaient. Les nausées ont continué jusqu'au dimanche. La fièvre est venue les accompagner. C'était la plus grosse cuite de ma vie. SOS Médecin est venu. J'ai reçu une piqûre dans la fesse. J'ai dormi toute la journée, toute la nuit. Lundi matin : je ne vais pas en cours, je suis bien trop faible, je reste encore au lit. Je vais voir mon médecin généraliste qui me dit qu'il y a une épidémie de grippe et qu'elle est très violente cette année. "Pour la grippe, rien à faire ! Il faut prendre du doliprane, s'hydrater et dormir." Dans la nuit de lundi les vomissements reviennent. Je n'ai plus d'énergie, j'ai peur. J'appelle ma mère, je lui dis que je suis malade depuis jeudi, que je sais que c'est la grippe mais que je suis trop fatiguée, j'en peux plus, j'aimerais qu'elle soit là, je pleure. Mardi matin elle arrive de Lyon. Je vomis du sang. On va aux urgences. "Vous savez, la grippe cette année c'est l'enfer. Le sang c'est sûrement à cause des vomissements, ne vous inquiétez pas, quelques jours au lit et ça passera.Au chaud. Eau-chaude-citron-miel. F.R.I.E.N.D.S. Dodo. Les nausées ne me lâchent pas. Je n'en peux plus, je rêve d'une piqûre qui annule tout, qui m'endort juste. Jeudi, je suis super faible. On retourne aux urgences. Ca fait une semaine maintenant qu'il n'y a aucune amélioration. Ma mère se met en colère et réclame des analyses supplémentaires.
Bilan bactériologique négatif. Bilan sérologique positif. Ca veut dire quoi ? J'ai le DAS ? C'est quoi ces conneries ? Depuis quand on le SIDA à 19 ans, à notre époque, à Paris, quand on est hétéro ? J'avais eu trois relations non protégées ces derniers mois. Un vrai plan cul avec un mec que je connais. Deux fellations seulement avec des garçons très biens. Je n'ai pas compris. Le premier mois a été horrible. J'ai été traitée tout de suite. J'ai détesté le monde. Je me suis détestée moi. Je me sentais sale. Salie. Débile. Inutile. Monstrueuse. J'ai voulu mourir. Plus vite. Je mourrais déjà, mais trop doucement. Et puis un matin je me suis dit que c'était comme ça. Je pouvais choisir de décevoir encore plus les gens autour de moi. Je pouvais choisir de les faire souffrir. Ou je pouvais choisir de vivre. Je pouvais choisir de prévenir, de parler, d'éviter aux autres ce qui m'était arrivé. Au final cette primo-infection m'avait permis d'être dépistée rapidement et c'était sûrement pour quelque chose. J'ai choisi de vivre ma maladie comme un pouvoir. Le pouvoir de prouver que le SIDA existe encore aujourd'hui. Le pouvoir de prouver qu'il touche des hétérosexuelles, femmes, non-héroïnomanes. Le pouvoir de crier haut et fort qu'il faut se protéger. Le pouvoir de crier haut et fort qu'il faut encore crier haut et fort.
Les larmes me montent je n'y peux rien. Ca va aller. Ca passera. Je suis fatiguée c'est tout. Il ne dort pas sans moi. Avec lui je ne dors pas. Mon corps me fait mal. Je l'aime si fort. Je suis épuisée. Ca ne durera pas. Je pleure tous les jours. Ou presque. Je ne me sens pas malheureuse. A l'intérieur. Mais triste. Au fond. Seule aussi. Même si on est deux la journée. Trois le soir et le matin. L'énergie me manque et des fois j'aimerais appuyer sur pause. Recharger les batteries. Un instant. Faire le vide. Être seule pour de vrai. Je perds mes mots, petit à petit je me perds. Je m'oublie. Je m'efface.
Méditer. Seulement.
En effet, c'est bien de se sentir entourée, supportée. C'est pour ça que je viens toutes les semaines. On partage nos expériences, on se voit changer ensemble. Chacune à son propre rythme. Incroyable de se dire que des bébés grandissent en nous. On est six femmes. Douze humains. J'aime cette communauté parce que je me sens moins seule. J'apprends sur moi. On discute. On partage. On bouge aussi. Ca m'aide beaucoup. Ca m'aidera sûrement à être une meilleure mère par la suite. J'ai le sentiment qu'on tombe enceinte et qu'on ne connait rien. On ne sait pas ce qui va nous arriver. Il y a des milliers de tabous. Si peu d'ouverture et de paroles partagées. Ici je me sens en sécurité. Je sens que je peux parler de tout. Sans communiquer mon stress. Je parle librement de mes pieds qui gonflent ou de mes hémorroïdes sans que personne ne fronce les sourcils. Ici on entend ce qui est dit. On ne juge pas. On ne censure pas. On sait très bien que dans la grossesse il n'y a pas que du beau. Que les bébés ne naissent pas dans des choux. On le sait mais personne n'en parle. Trop personnel. Trop cru. Ici on s'ouvre. On est cru. On est nature. Alors la première fois que j'ai entendu parler de fissure annale ou d'épisiotomie, moi aussi j'ai froncé les sourcils. Mais ça m'a aidée. Ca m'a ouverte. Ca m'a encouragée à parler. A partager. A vivre pleinement cette grossesse qui, certainement, ne devrait s'appeler comme ça.
Respire.
L'eau chaude me fait du bien. Mais la douleur reste intense. Elle m'a pris ce matin comme deux énormes coups de couteaux. Là en bas du ventre. Depuis, elle insiste, elle se tord, elle s'enfonce. J'ai appelé pour dire que j'avais fait une intoxication alimentaire. Quelle femme va dire à son boss qu'elle a ses règles et qu'elle ne peut pas venir travailler ? Chochotte. J'ai mal. J'ai Mal. La migraine me revient. J'ai envie de vomir. C'est de pire en pire. Chaque mois ça s'aggrave, c'est plus fort. D'abord c'est la déprime. Les larmes qui montent pour rien comme ça. Tu cherches une explication. L'agressivité suit. Elle te dirige. Te contrôle. Elle met en péril tes relations les plus intimes. Tu envoies tout bouler. Tu cries. Tu as envie de frapper. Fort. Tu sers les poings. Tu te retiens. La colère grandit. Tu pleurs encore. Plus. Tu pleurs plus. Personne ne comprend. Vraiment. Et puis vient le sang. A flot. Et tu maudis les connasses qui mettent des tampax mini comme dans les pubs.
J'ouvre les yeux doucement. Ils sont entrés par le nombril. Mon ventre est gonflé. Ma tête est lourde. Le chirurgien m'explique : Ils ont retiré des morceaux d'endomètre sur mes ovaires. Comme une femme sur dix je souffre d'endométriose. Il recommande une ménopause artificielle. Une injection à faire tous les trois mois. Bien sûr, je ne peux pas avoir d'enfant sous ce traitement. Procréer ou souffrir il faut choisir.
J'y vais tôt. Quand la plage est vide, que personne n'a encore laissé son empreinte sur le sable. Il fait souvent frais et le soleil commence doucement à réchauffer l'air. Le sable est froid. A peine mouillé. J'écoute. Le son des vagues. Je respire. Je ferme les yeux et je suis. Présente. Seule. Connectée pourtant. C'est ce luxe que je m'octroie. Le luxe de rester là et d'être seulement.
J'ai ressenti cette énergie il y a bien longtemps. Je n'étais pas prête à la recevoir. Une sorte de voix qui me disait que je n'étais pas là où je devais être. Que je n'étais pas la personne que j'étais vraiment. Le sentiment que mon corps n'était pas mon corps. Comme si on m'avait glissée dans la mauvaise enveloppe. J'ai commencé à ressentir des malaises profonds au moment de la puberté. Pourtant, je ne parvenais pas à mettre des mots dessus. Et puis, c'est ma découverte du porno qui m'a ouvert les yeux. Je regardais ces vidéos et mes fantasmes étaient féminins. Mon plaisir était fantasmé. Jamais ressenti. Je rêvais de pénétration mais n'avais aucun plaisir à pénétrer moi même. Je savais que je n'étais pas homosexuel. J'étais différent(e). Je rêvais de plaisir vaginal. Tu ne te réveilles pas un matin en choisissant d'être femme ou homme. Tu sais. Tu es. Tu es femme. Tu es homme. Je l'ai su très tôt. Je l'ai tu trop longtemps. J'étais femme. Je suis femme.
C'est ouf d'avoir une telle connection. Les gens te diront que c'est pas possible d'être amie avec un mec. Que lui ou toi vous avez forcément des trucs derrière la tête. Que ça va déraper à un moment. Vous serez bourrés un soir, vous vous sauterez dessus. Honnêtement non. Jamais. C'est ouf. C'est mon reuf. C'est la plus simple des relations. Toutes les meufs le veulent. Moi zéro. Je l'ai moi. Il m'a lui. On a rien à prouver. A nous ou à personne. Il y a juste zéro sexe dans tout ça. Zéro attirance. C'est juste une sorte d'amour inconditionnel. De respect mutuel. Un truc pure et inexplicable qui fait que, de parents différents, on est de la même fratrie. On se sait. On a pas besoin de se dire grand chose. On est juste connecté. Là. L'un pour l'autre. On est lié. De coeur à coeur. D'âme à âme.
J'ai crié. J'ai crié parce que c'est sorti. Parce que j'en avais besoin. Parce que j'avais trop à l'intérieur. Je n'ai pas crié parce que j'étais hystérique. J'ai crié parce que je n'en pouvais plus. Parce que je ne savais pas dire. Parce que murmurer n'étais pas une option. J'ai crié pour me faire entendre. Parce que le dialogue était sourd. Parce que tu n'écoutais pas. Je n'ai pas crié parce que j'étais folle. J'ai crié pour faire sortir le trop-plein. Pour faire taire le trop-fort. Dans ma tête. J'ai crié pour faire de l'espace. Pour entendre le silence derrière. Enfin.
Je peux lui dire tout. Elle peut tout me dire aussi. Elle est loin un peu. Je pense à elle souvent. On se parle beaucoup. De tout de rien. On rit souvent. Elle m’apprend beaucoup. Elle ne me juge jamais. Elle me dit qu’elle m’aime. Et elle m’aime comme personne ne m’aime. Elle m’aime de cet amour vrai et pénétrant. L’amour qu’on sent dans le corps. Celui qui fait du bien. Celui qui fait grandir. Celui qui reste. Qui donne confiance. L’amour désintéressé. C’est un amour rare et précieux. Qu’on est chanceuse de connaître encore à nos trente ans. L’amour d’une grand-mère.
Elle regarde mon ventre. Comme toutes. Elles regardent toutes mon ventre. Un coup d'oeil furtif, rapide, pas insistant, plutôt léger. "4 mois qu'elle a accouchée". On veut voir si elle est grosse encore. Par curiosité, sûrement. "Est-ce que moi je serais grosse après 4 mois ?" Ou alors "c'est fou elle a déjà retrouvé son corps". Comme si je l'avais perdu mon corps. Comme s'il était parti en vacances. Sans donner de nouvelles. Sans date de retour. Alors elles regardent, juste pour se conforter. Se dire qu'il est toujours là, leur corps à elle. Parfait, sans stries, sans cicatrice, sans peau élastique. Elles peuvent bien regarder, elles peuvent bien être curieuse, elles peuvent bien penser, juger, parler, sourire faussement. Je ne l'ai pas perdu mon corps. Je l'ai partagé, seulement. Avec la personne que j'aime le plus au monde. J'en ai de la chance.
fin. 28 février 2019.